Épisode # 27
Aimer à en mourir, est-ce vraiment de l’amour ?
Étant enfant, mon père m'a convaincue que j’étais sans valeur et aujourd'hui, même si on me méprise et me piétine, je me sens coupable à la simple pensée de me défendre. Cette prise de conscience est très difficile à vivre en ce moment et elle me fait terriblement souffrir.
Même si je m'exprime généralement avec assez aisance, je réalise que toute ma vie j’ai trainé le sentiment que je n'avais pas ma place sur cette terre. Pendant des années, j'ai anesthésié toute cette souffrance en jouant le rôle d'une femme volubile, qui prend de la place, qui rit fort et qui semble avoir une confiance inébranlable en elle-même, mais la vérité est que j'ai toujours eu l'impression d'être coupable d'exister...
Ivre, mon père me répétait inlassablement : «T'es grosse, t'es laide, aucun homme ne va vouloir de toi et tu ne feras rien de bon dans la vie». J'avais beau me dire qu'il était saoul et qu'il n'avait pas conscience de ce qu'il disait, il n’en demeure pas moins que ses paroles ont fini par s’enraciner dans mon esprit et j'ai fini par croire que cela était la réalité. C’est ainsi que je me suis mise à manger plus que nécessaire, à prendre de plus en plus de poids et à devenir obèse. Évidemment, je n'avais pas d'amoureux et j'occupais un poste mal payé dans un organisme d'aide aux familles.
J'avais 20 ans lorsque j’ai rencontré mon premier amoureux. En fait, je devrais dire le premier homme qui a bien voulu de moi malgré mes 250 livres. Il ne me plaisait pas du tout physiquement et son humeur changeante me déstabilisait, mais qu'à cela ne tienne, il voulait de moi malgré les «pronostics» de mon père et moi, je me suis accrochée à lui comme une désespérée.
Ce fut une relation misérable. Il m'humiliait régulièrement en faisant des allusions sur mon poids, en cachant des desserts pour que je ne les mange pas, en demandant à son père de me convaincre de perdre du poids. Il me prenait en photo en maillot de bain l'été et affichait la photo sur le réfrigérateur. Non pas parce qu'il me trouvait belle, mais pour que je constate à quel point j'étais grosse. Il avait des délires mystiques. Il voulait devenir prêtre et disait qu'il entendait l'appel de Dieu. Il me quittait régulièrement, une à deux fois par année, puis revenait. Il m'a transmis une maladie transmise sexuellement, qui a contribué au développement d’un cancer du col de l'utérus.
Son frère alcoolique agissait aussi de façon humiliante et très méprisante à mon endroit. Jamais il n'a imposé une limite à son frère. J'avais parfois l'impression qu'il trouvait une satisfaction à me voir humiliée ainsi. Chacun de ses départs me conduisait tout droit vers la dépression, car sans lui je croyais ne pas pouvoir survivre, sans lui je n'étais plus rien, je n'existais plus et lorsqu’il revenait, je renaissais.
Un jour, nous avons pris la décision de changer de voiture. Une voiture trop dispendieuse pour nos moyens financiers individuels, mais à deux revenus c'était possible de faire cette dépense. Au moment de la signature du contrat d’achat il n’a pas voulu que son nom apparaisse au contrat me disant que c'était un cadeau que de la mettre à mon seul nom. J'ai pris ce geste pour une marque d'amour à mon endroit et je l'ai remercié. Une semaine plus tard, il me quittait définitivement me laissant seule avec les paiements de la voiture neuve et un appartement trop cher pour mes seuls moyens. Je me suis encore accrochée à lui, le suppliant, mais cette fois il n'est pas revenu.
Après 10 années de ruptures et de retours, c’en était fini. Je me suis alors écroulée, anéantie. J'ai alors décidé que le suicide était la solution à toutes mes souffrances. J'ai alors écrit mes lettres d'adieu que j'ai ficelées de jolis rubans roses et je suis allée à la pharmacie acheter un paquet de lames de rasoir. Je me rappelle que c'était une magnifique journée du mois de juillet, le soleil était éclatant et l'air sec et doux.
J'ai stationné ma voiture tout près d’une voiture familiale remplie de bagages. De toute évidence, une petite famille partait en vacances. Je suis rentrée en même temps qu'eux dans la pharmacie. Ils se sont dirigés en chantonnant vers le rayon des lotions solaires alors que moi je me dirigeais vers le comptoir-caisse pour acheter un paquet de lames de rasoir.
De retour à la maison, je me suis fait couler un bain chaud. La pièce sans fenêtre était plongée dans le noir malgré
l'éclatant soleil de juillet. Je n'ai pas allumé, j'ai déposé le paquet de lames sur le rebord de la baignoire, je me suis déshabillée et j'ai plongé mon corps dans cette eau très
chaude. D'une main tremblante, j'ai posé la lame de rasoir sur mon poignet gauche, j'ai fermé les yeux et j'ai appuyé.
À la vue du sang, j’ai paniqué. Je suis alors aussitôt sortie de la baignoire et j'ai enroulé mon poignet saignant dans une serviette. Je suis restée assise là, sur la toilette, toute la matinée et j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps.
Je venais de prendre conscience que l'amour pouvait mener à la mort… Aurais-je le courage de vivre, je ne le savais pas, je ne savais plus!
ISA