Ça fait 3 jours que je ne suis pas sortie. Je mange à peine ce qu'il faut pour ne pas m'évanouir. J'attends. J’ai attendu toute ma vie il me semble. J'attends qu’on vienne me sauver, qu’on vienne remplir ce vide dans lequel je me noie. J’ai 47 ans. Je n’ai ni emploi, ni argent, ni enfant, ni amis ou si peu et surtout plus de conjoint. Seul au monde comme Tom Hanks. La différence est que je ne suis pas sur une île déserte et qu'autour de moi le monde s'agite, s'active. Je devrais en faire autant. Faire ce que normalement une femme de 47 ans fait. Travailler tout en planifiant ma retraire, m'occuper de mon mari, de ma maison, de mes enfants et même, qui sait, de mes petits-enfants, passer mes fins de semaine à la campagne, faire des sorties de filles. Mais je ne fais rien de tout cela. Car je n'ai rien de tout cela. C'est le vide. La sonnerie de mon téléphone est fermée en permanence, de toute façon personne ne m'appelle jamais. Le vide est aussi grand autour de moi qu'en moi.
Dix fois par jour j'épluche les petites annonces pour trouver du travail. Je dois trouver du travail car dans à peine cinq mois les vivres seront coupés et je devrais assumer l'entière responsabilité de ma vie. Mais comment vais-je faire? Je n'ai pas travaillé depuis dix ans. Je n'ai plus aucune confiance en mes moyens. Qui va vouloir de moi ? Même mon conjoint ne veut plus de moi, alors à quoi bon. Si on ne m'aime pas à quoi bon ?
Je suis une dépendante affective. Le verdict est tombé il y a six mois lors de ma première consultation chez Fannie, une psychologue de trente ans. Je me doutais bien que quelque chose ne tournait pas rond chez-moi. Une enfance et une adolescence baignées d'alcool et de violence familiale ne peut faire autrement que de laisser des cicatrises. Les miennes semblent bien creusent à écouter Fannie. Elle m'explique que la souffrance que je ressens provient du fait que je me perçois comme sans valeur, que je n'ai pas d'amour propre et que je cherche l'estime de soi dans les yeux de l'autre, l'autre étant une relation affective avec un homme. Qu'en gros, pour me sortir de cette souffrance, je dois renoncer à toutes formes de dépendance affective avec l'autre. Être seule le plus souvent possible, ne plus chercher à combler mon vide intérieur au contact de l'autre, assumer l'entière responsabilité de ma vie. En bref, je dois devenir affectivement et financièrement autonome. C'est tout ? Bon ! Par où dois-je commencer ?
Six mois et quinze rencontres plus tard je suis couchée dans mon lit pendant que dehors le mois de février s’active lui aussi. Je ne vois plus Fannie. L’autre est revenu en décembre me faire une déclaration d’amour. Me dire qu’il avait fouillé au plus profond de lui et qu’il avait encore beaucoup d’amour pour moi. Voilà ! Tout était réglé. Bye ! Bye ! Fannie et son concept de dépendance affective. L’autre en revenant a chassé tous les nuages gris de ma vie. Les projets fusent dans ma tête. Toute mon énergie est de retour. Je ne passerai pas Noël seule. Il va y avoir un arbre, des cadeaux, un réveillon et des lumières. La vie est de retour ! Je l’ai échappé belle. Mais je dois être parfaite maintenant. Il faut montrer à l’autre que je suis digne de son amour digne de sa décision. Je vais le lui prouver. Mettre les petits plats dans les grands. Il y a six mois j’avais tenté de le convaincre. Mais c’était trop tôt. Il n’avait de moi que l’image de la larve qui s’accrochait à lui depuis dix ans et qui par surcroit avait osé le tromper quelques mois auparavant.
En septembre je demandais à Fannie; Si je suis dépendante affective, comme tu le dis, pourquoi ai-je trompé mon «pusher», mon fournisseur officiel de sécurité affective au risque de le perdre ? C’est un non-sens. Elle me renvoie la question. Il semble que de trouver mes propres réponses fasse aussi partie de mon processus de prise en charge. Bon ! Je bafouille quelques explications. Rien de très convaincant. Le regard que pose Fannie sur moi m’oppresse. Je voudrais être ailleurs. Elle attend une réponse je le sais. Je n’attends rien me dit-elle. Si je l’ai trompé cela doit être parce que je ne l’aime plus. Tout le monde dit cela. Quand on aime on ne trompe pas. Est-ce ta croyance à toi ? Euh… Oui. Euh… Non. Euh… Je ne sais pas. Des vapeurs me montent au visage. J’ai chaud. Mon regard s’embrouille. La panique n’est pas loin. Place ta main droite sur ton plexus. Je m’exécute. N’importe quoi pour sortir de cet inconfort grandissant. J’attends la suite la main sur le plexus. Tu ressens quoi ? De la culpabilité. Beaucoup de culpabilité. Une profonde culpabilité m’habite depuis dix ans. Je sais que mes comportements ne sont pas normaux ni respectueux envers l’autre. Mais je n’arrive pas à ne me contrôler. Clavarder avec d’autres hommes, m’inventer une vie, un personnage, les séduire, les rendre fou de désir, au mieux, les faire tomber amoureux, me perdre dans des histoires virtuelles sordides est devenu un besoin. J’en suis convaincue. Ce n’est pas de ma faute. Si je ne fais pas cela, je vais devenir folle d’anxiété et crever ou pire encore, être internée. Fannie écoute. Ma réponse ne semble pas la satisfaire puisqu’elle me repose la même question. Je suis rouge écarlate. Les yeux au plafond je cherche comment je me sens. Tu ne cherches pas à la bonne place, me dit-elle. Ah non ?
ISA